« L'urgence environnementale à laquelle nous sommes collectivement confrontés, et que les scientifiques documentent depuis des décennies, ne peut être traitée si ceux qui tirent la sonnette d'alarme et exigent des mesures sont criminalisés pour cette raison », prévient Michel Forst, le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l'environnement. Dans un papier de positionnement (1) publié le 28 février, il alerte sur une tendance à la hausse de la répression et de la criminalisation des défenseurs de l'environnement, dans de nombreux pays européens, dont la France. Au pays des droits de l'homme, de nombreux acteurs se sont en effet inquiétés, ces derniers mois, de l'absence de débat, de concertation sur les enjeux environnementaux et, en parallèle, d'une hausse de la répression sur le terrain et d'une réduction du champ d'action sur le plan juridique.
Selon Michel Forst, les gouvernements devraient au contraire reconnaître publiquement le rôle que jouent ces lanceurs d'alerte, défendre leur liberté d'expression et de manifestation et garantir un dialogue démocratique constructif. « Les gouvernements continuent de prendre des décisions qui vont directement à l'encontre des recommandations claires et urgentes des scientifiques, déplore-t-il. Face à cette situation et à l'impression légitime que les décideurs manquent à leur devoir, un nombre croissant de personnes et d'organisations - groupes, mouvements, militants et scientifiques, enfants et grands-parents - se mobilisent pour défendre leur droit humain, et celui des générations futures, à un environnement propre, sain et durable. »
Harcèlement, répression et climat de peur
Le rapporteur, qui s'est rendu la semaine dernière à la rencontre des opposants à l'A69, constate qu'en effet « les défenseurs de l'environnement ont de plus en plus recours (…) à des formes de manifestations pacifiques susceptibles de perturber l'espace public, telles que l'occupation de sites de construction, des marches lentes ou des blocages routiers qui créent des embouteillages ». Des actions « souvent qualifiées à tort par [les médias] et par les personnalités politiques d'"antidémocratiques", voire de "violentes" ».
Le Comité des droits de l'homme des Nations unies a rappelé que les campagnes de désobéissance civile et d'action directe (2) étaient une forme d'exercice des droits à la liberté d'expression et à la liberté de réunion, du moment qu'elles s'exercent dans la non-violence. Les perturbations qu'elles causent doivent être tolérées, puisque ces rassemblements constituent une utilisation légitime des espaces publics, indique le comité.
De nouvelles infractions pénales sont créées et les lois antiterroristes sont utilisées contre des militants environnementaux, déplore Michel Forst. Des canons à eau, des gaz poivrés, des gaz lacrymogènes, des flash-balls sont utilisés par les forces de police contre les manifestants, qui « sont arrêtés, soumis à des fouilles à nu et placés en garde à vue pendant plusieurs jours sans inculpation ». Cela va même jusqu'à une peine de prison ferme pour un militant ayant bloqué un pont, détaille le rapporteur, qui estime que « les États créent un climat de peur et d'intimidation pour les défenseurs de l'environnement ».
La France n'est pas une exception
Le document ne manque pas d'exemples pour illustrer cette situation. En commençant par un rapport de 2023 de l'Union européenne sur la situation et les tendances du terrorisme qui assimile le militantisme environnemental et la lutte contre le changement climatique d' « extrémisme ». Le ministre de l'Intérieur français, Gérald Darmanin, n'est pas le seul à parler d' « écoterroristes ». Les services de renseignements danois ont ajouté les extrémistes climatiques à la liste des menaces terroristes. En Espagne, les mouvements Extinction Rébellion et Futuro Vegetal ont été classés par les pouvoirs publics comme « terrorisme » international ou national. En Italie, une loi sur l' « écovandalisme » a été adoptée en janvier dernier. Au Royaume-Uni, les lois sur la criminalité et l'ordre public ont renforcé les pouvoirs de la police sur les manifestations pacifiques et ont créé de nouvelles infractions pénales.
Ces évolutions s'accompagnent, sur le terrain, de harcèlement des manifestants et des journalistes lors de manifestations, de brutalités policières et d'abus de pouvoir, d'une augmentation des poursuites et des inculpations, de mesures d'enquête et de surveillance étendues, liste le rapporteur spécial. « En France, en Pologne et en Espagne, des défenseurs de l'environnement ont été pris en filature par la police et suivis jusqu'à leur domicile et, en France, en Allemagne et en Espagne, des militants ont été mis sur écoute et leurs véhicules ont été géolocalisés », détaille le rapport. Des domiciles ont été perquisitionnés et des arrestations ont parfois été effectuées par des unités antiterroristes. « En France, des manifestants environnementaux ont été placés sous contrôle judiciaire dans l'attente de leur procès - souvent pendant plusieurs mois - avec d'importantes restrictions sur leur liberté de mouvement et sur les personnes qu'ils peuvent rencontrer, ainsi qu'une interdiction de participer à toute manifestation ». Des peines « sévères et disproportionnées », assorties de suppression de moyens de défense, ont été constatées aux Pays-Bas, au Danemark ou encore au Royaume-Uni. Enfin, dans certains pays, les mouvements sont eux-mêmes criminalisés, à l'instar de Futuro Vegetal en Espagne ou des Soulèvements de la Terre en France.